mercredi 13 octobre 2010

Down all the days





Quelle est la meilleure chanson des Pogues ?
Les Pogues, ces OVNI de la musique pop, apparus dans le courant des années 80', avec leur musique transpirant le celtisme irlandais et le j'm'en foutisme punk. A l'époque, Renaud chantait "Morgane de toi" et les Pogues braillaient "Dirty old town". Est-ce leur meilleure chanson ? Tout le monde la connait mais elle est d'Ewan Mac Call. Un poète irlandais. Auparavant, Shane Mac Gowan avait braillé le sublime "Auld triangle", mais c'est un texte de Brendan Beehan, un divin poète irlandais. Est-ce leur meilleure chanson ?
A l'orée des années 90', ils ont pondu leur album le plus accompli : "If I should fall from grace with God". Dans cet album, il y a une chanson magnifique : "Thousands are sailing". Elle est signée Philip Chevron. Est-ce leur meilleure ? Non.
L'année qui suivit un nouvel album est paru, avec un boxeur dont une main avait six doigts, de façon à faire apparaître en tatouages sur ces derniers "LOVE & PEACE", clin d'œil faramineux au film "La nuit du chasseur" de Charles Laughton avec l'inoubliable Robert Mitchum, prédicateur tatoué sur les doigts de "LOVE & HATE".
Sur cet album se trouve une chanson qui est le chef-d'œuvre des Pogues : "Down all the days".
Elle débute par le bruit subtil de frappes sur le clavier d'une machine à écrire.
Rapidement, la vielle à roue et son chant lancinant en prennent le relais.
Elle finit de la même façon mais inversée.
Et entre ce début et cette fin d'écrivain, de poète, il est l'expression, le cri d'une histoire qui recoupe nos histoires !
Cette chanson parle de Christy Brown, paraplégique et grand écrivain irlandais, qui était parfois "down all the days".
Mais elle va forcément énormément plus loin ! Nous ne sommes pas tous handicapés au sens propre du terme, mais nous le sommes parfois au sens de notre savoir-vivre. Il m'en revient cette réplique de Martin Lamotte à Jugnot : "T'es un handicapé de la vie !"
Quel que soit notre handicap, Quelle que soit la force compensatrice qu'il nous confère, nous n'avons pas le droit d'abandonner, et devons nous servir de cette force afin d'être nous même avec une fierté provocatrice ! La rébellion est le sens même de notre existence, le sens même de ce que l'on transmet à ceux qui croient en nos mots ; il n'y a pas engagement plus puissant que ce dernier !
Nous devons être nous-même. La métaphore irlando-écossaise de ne jamais supporter les "Rangers" mais les "Celtics", revient à dire : "sois toi, sans concession ni perversion, sois toi et brille des feux dont Dieu t'a doté !"
En Islam, il est écrit que la pire insulte à Allah, est de négliger le don qu'il te fit. Je souscris. Nous sommes de passage et il est parfois moyen de marquer ce passage. Chacun à notre façon avons les moyens de le faire.
Il faut avoir confiance en ces moyens !
Il faut se lever, se battre, croire en soi, se rebeller !
On peut être handicapé, se retrouver tous les jours par-terre, le nez dans la boue, mais être fier, et garder l'esprit de combat. La vie est une chose merveilleuse qui se construit sur notre capacité d'aller au delà de nos choix, sur l'immanence de nos propres certitudes, sur ce que nous sommes en simple vérité.

dimanche 14 mars 2010

Petit hommage en forme de petite chose




On attire souvent l'attention sur la dimension "engagée" de l'auteur-compositeur-interprète que fut Jean Ferrat, sur cet engagement en tant que compagnon de route du communisme, renforcé qu'il parut par son étroite collaboration et sa profonde amitié pour le couple Aragon-Triolet - dont j'omettrai ici le rappel sur son rôle peu glorieux vis-à-vis de Lily Brick et de l'inéluctable suicide de Vladimir Maïakovski.
Rédigeant ces quelques mots à propos de ce Monsieur qui vient de nous quitter, je ne ferai donc pas dans le panégyrique socio-politique ni dans l'intérêt qu'il y a littérairement, à revendiquer par le mot des vanités révolutionnaires dont lui-même revint. Je souhaite principalement me souvenir du poète et du musicien qui révéla probablement une part de ma vocation, tant il me fut donné de l'écouter enfant, de par des parents pour lesquels il faisait partie d'une génération dorée de chansonniers, les Barbara, Brassens, Brel, Ferré, Lapointe, Leclerc et autres lui-même.
Pour ce, j'ai choisi cette chanson comme illustration. Je considère "Ma môme", dont la "Jolie môme" de Ferré fut le parfait contrepoint, tel un absolu chef-d'œuvre de la chanson poétique populaire, voire de la poésie tout-court, lorsqu'on lit ce texte sans sa musique. Lorsque, bien des années plus tard, Renaud écrivit puis chanta "Ma gonzesse", il y avait une forme d'écho reconnaissant, porté par la même gouaille parigaude que dans ce diamant signé Ferrat.
Pour illustration, je ne peux m'empêcher de citer ces vers :
"On habite un meublé,
Elle et moi
La fenêtre n'a qu'un carreau
qui donne sur l'entrepôt
Et les toits..."
Quel merveilleux calembour poétique ! La rime plus que riche ! plus que riche de son simple sens, quand dans la structure profonde des mots rassemblés, pareille à ces rencontres qui ne sont belles que parce qu'elles se font par hasard, mais riche d'une incroyable concomitance de sons et de sens, et tout ce texte en est truffé ! Sur celui-ci, ce n'est même plus "Et les toits" que notre oreille capte, mais "Elle et Toi", mais mieux encore : "Et l'étoile". Voilà comment Jean Ferrat transformait des toits de banlieues en accessible étoile perçue dans la richesse inestimable des yeux d'une miséreuse, au simple détour d'un vers fumeux. Vous cherchiez une définition de la poésie ? Je viens de vous en fournir un exemple.
Oui, Monsieur Ferrat, "c'est beau comme du Verlaine", et même un peu plus parce que nourri de lui et avançant vers d'autres horizons, y comprit ceux des usines cristoliennes près desquelles la vie voulut que je grandisse en enfance.

samedi 13 mars 2010

Une charogne





« Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés ! »

Charles Baudelaire

Ceci est le dernier quatrain d'un poésie marquant à mon sens une rupture sans laquelle rien ne se serait produit ultérieurement, ni Rimbaud, ni les autres...
Ceci reste pour moi le plus beau quatrain de l'histoire de la littérature française, non seulement par sa totale harmonie sonore, mais encore par la profondeur désespérée de son contenu fataliste.
Ceci n'est que le dernier de douze constituant « Une charogne », si ce n'est mon poème préféré, celui qui m'intima sans le moindre doute le devoir de l'écriture versifiée.

Je n'avais alors que seize ans, j'aimais déjà m'inventer sur papier des histoires, collectionner les bonnes notes en rédaction, mais comme beaucoup d'entre nous, ne connaissais à peu près rien de la poésie. J'entrais en première, époque où l'on préparait l'unique épreuve anticipée du baccalauréat, dite « bac français ». Pour ma génération, c'était l'épreuve du feu car notre premier examen réel. Nous avions donc une liste d'œuvres arbitrairement choisie par la fonctionnaire de l'éducation nationale chargée de nous ouvrir l'esprit, à nous fournir moyennant transaction financière chez un libraire, et étudier dans le courant d'une année pourtant délibérément tournée vers la sélection par les sciences dures. Il s'agissait d'une classe d'élite, de celles qui préparent à l'émergence de celles de la nation, qui préparent aux classes prépa dans l'inimaginable mentalité délétère que pourtant il est aisé de constater à chaque étage de la jungle professionnelle. Dans cette liste figurait « Les fleurs du mal » de Charles Baudelaire.

Oh, bien sûr, à quatorze ans, pour faire du zèle, avais-je lu « Britannicus » à ma propre initiative... Peut-être cela m'avait-il inconsciemment préparé à la structure de l'alexandrin et à son dépassement.  J'ai donc découvert Baudelaire comme on aborde une compétition de patinage artistique : par les figures imposées. Mais lorsque l'on place entre les mains d'un adolescent dynamiteur un tel paquet d'explosif, il ne faut pas attendre de lui le respect des pointillés du champ lexical, ni des frontières décernées aux textes entrant dans la sacrosainte addition de ceux à présenter le jour J. Et je lus « Les fleurs du mal » en dehors des morceaux choisis que mes coreligionnaires potasseraient imperturbablement dans la perspective de leur réussite sociale future. Et je découvris « Une charogne » au détour de ces pages qu'il m'arrive de feuilleter encore, racornies, cornées, pareilles à de vieux ongles d'une vieille personne tabagique ayant tant vécu.

L'effet ne fut pas moindre que cent-trente-ans plus tôt sur son public. On pense nos sociétés libérées depuis un certain mai '68, mais c'est un peu du vent, des façades façon de Bucarest Ceaucescuienne,
car nul ne propose à lire « Une charogne » plutôt que « L'albatros », pas plus qu'on n'aborde le sujet de la Commune dans les cours d'histoire du secondaire. On se dit que ceci est réservé à une « élite », et qu'il n'est nul besoin d'user de prosélytisme subversif au risque de perturber le déjà fragile équilibre social. Alors on laisse à l'initiative des plus curieux de découvrir par eux-mêmes ces bombes à fragmentation de l'être, ces joyaux thermonucléaires aux manipulations si délicates. C'est presque criminel, mais le crime depuis celui d'Abel, est le propre de l'Homme.

Comment ne pouvait-on faire scandale en 1857, avec une telle abomination ? Avec force détails, Baudelaire décrit la rencontre, lors d'une promenade amoureuse, de la charogne d'un cheval, et exacerbe tous les sens, vue, odeurs, bruits, et presque goûts et textures, dans la description qu'il dédie à sa compagne afin d'achever – quel mot plus juste ? – d'un retournement sur elle les affres de la fatalité existentielle. C'était une époque où la poésie académique, pour être belle devait parler du beau, laisser la misère au misérables dont su parler Hugo, mais plus timidement que Baudelaire, en roman, et ne pouvait admettre de telles licences considérées perverses et mortifères, fruits d'esprits dérangés et désignés d'emblée pour l'asile psychiatrique, Charenton – là où je suis né. Baudelaire fut en cela le précurseur de Rimbaud et de sa « Vénus anadyomède », ainsi que de Camille Claudel et sa statue « Clotho » : faire beau en traitant la « laideur », car finalement, où sont les canons de la compréhension du beau ?

Or l'erreur serait de s'arrêter à ceci ! Ce n'est pas le portrait d'un cadavre chevalin que Baudelaire dressa – pour le simple plaisir d'adresser ensuite une gifle littéraire à un amour déçu ! Non ! Charles Baudelaire était un « voyant » avant Rimbaud, et son esprit visionnaire est entièrement concentré dans « Une charogne » ! Cette dépouille putride qu'il décrit au bord d'une route n'est autre que son siècle ! Il voit la charogne de la royauté française – furtivement dépouillée par un empire d'opérette – et des empires l'entourant et prêts à déchoir ; il voit plus loin que les révolutions qui bouleversèrent 1848, échouant la plupart du temps dans leur sang comme en Hongrie, il voit le pourrissement d'un ordre social, l'effondrement mal-odorant des dynasties gangrénées, maladives, hémophiles, mort-vivantes et consanguines. Il voit des vers s'en nourrir et décrit le futur monde bourgeois dans lequel nous vivons, celui qui s'est nourri, construit de cette charogne ! Le monde des banquiers et des affairistes, le monde vermiforme des crises de foie, de foi et deux fois, il répète à qui veut bien l'entendre, que son monde est mort, et qu'il en naît un autre dans la pourriture. Et que des chiennes galeuses et voleuses en piqueront aussi leur part !

Nous serons dès lors à l'image de ce nouveau monde engraissé des chairs faisandées du précédent. Mais pour quel aboutissement ? Nous ne sommes pas des dieux. Quelles que fussent, soient ou seront nos ambitions, quel que soit le sablier, notre destin est inexorablement fixé sur le point ultime de notre décomposition. La beauté, la richesse, le profit, ne conduisent pas à nul autre point que celui auquel conduit ce dont elle se nourrissent : la laideur, la pauvreté et le servage. Je ne connais rien qui ne ressemble plus à un Homme qu'un autre Homme, lorsqu'ils sont à l'état de squelettes.




Michel P©2010