samedi 18 janvier 2014

HEIMAT 1 & 2 ("Chronique d'un rêve" & "L'exode")





Continuez à tournebouler dans la sphère imaginaire où l'univers d'une œuvre a su vous plonger, contre les parois cinématographiques d'une bulle de savon parfaitement soufflée dans le creux de vos oreilles, et dont vous veillez à l'éclatement le plus tardif.
Continuez dans le prolongement de la pellicule, à imaginer la vie rêvée des autres – ou cauchemardée – ou vécue par le truchement du temps déféré sur le support de l'art dans toutes ses dimensions, et continuez à rêver après le spectacle superbe offert en deux somptueux volets par Edgar Reitz dans son HEIMAT, épisode premier (« Chronique d'un rêve ») et second (« L'exode »).
Rappelez moi le sous-titre des « Misérables » de Hugo :
« Chronique des années 1815-1830 »
Ici, nous sommes de l'autre côté du Rhin, en 1842, avec un garçon – Jakob, qui rêve des autres côtés des océans et qui, dans son déphasage avec son temps, avec ses mœurs, enfle de ses accents goethiens la litanie protestante des secondes qui s'égrainent dans le van manuel encore de la paysannerie rhénane. Nous sommes avec la jolie Jettchen et son amie Florichen, nous sommes à l'orée des bois, des phénomènes sûrement naturels mais qui ne le semblaient pas, nous sommes à cheval sur l'imaginaire des Niebelungen et de Hansel et Grettel, sur les mouvements de langues et de frontières, sur l'occupation napoléonienne et sur les guerres à peine froides de religion, nous sommes à cheval sur la compréhension – enfin ! – de l'intime âme et ferment culturel de nos frangins germains.
Nous sommes à cheval sur les principes des familles, qui n'ont finalement pas tant changé, sur les conflits fraternels d’intérêts, sur les bêtises de l'amour qui deviennent irréversibles, sur une forme de romantisme pur, inaccessible autrement que par l'abandon d'une matérialité qui faisait pourtant le monde d'alors comme elle fait également le monde d'aujourd'hui (par les subprimes et le dieu finances) ; nous sommes sur l'emploi de mots français dans le langage d'une jeune Allemagne qui revendique la « Liberté », et nous sommes à cheval sur tout puisque dans la forge d'un maréchal-ferrant.
D'ailleurs, dans l'univers sépia de ce film qu'on croirait à tort en noir-et-blanc, les fers apparaissent rougeoyant sur les sabots gris, les agathes ocres et brunes sous la lumière, les comètes et les Louis dorés, les décorations résineuses vertes, les fleurs en couleurs et les airelles bleues.
Je viens d'être le témoin volontaire d'un spectacle d'une rare beauté, mais bien plus encore : ce film m'a convoqué sur de nombreux questionnements personnels. Car Jakob est un voyageur de la pensée, un grand baroudeur de l'esprit, et me rappelle à cette question fondamentale à laquelle Cendrars aussi me cite : « Qu'est-ce que voyager ? »

A l'instant de cet écrit, je répondrais ainsi : c'est se frotter aux parois d'une bulle de savon sans qu'elle éclate, parfois. Voyager, c'est vivre à chaque instant l'idée de la déchirure d'avec sa Patrie, qu'elle fût quartier, village, région, pays ou continent : « Heimat ».



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