mercredi 22 février 2017

Paterson



Le climax du Cinéma, c'est lorsqu'une magie se met à opérer dès les premières secondes d'un film et dès la captation de votre imaginaire au travers du regard, infinies projections de l'écran vers la rétine, enfin vers l'occiput. Un climax en cinéma, c'est un orgasme en silence, une exultation douce.
Je n'ai aucune objectivité dans les propos que je livrerai sur "Paterson", car c'est l'histoire d'un poète dans une ville de poètes dont il a le nom — de la ville, pas des poètes, quoique... Un curieux mektoub, assez souvent porte à croire aux destins inévitables, aux prédestinations mal garées que la vie vous propose en guise ainsi caduque (où les villes ont des noms de bouquins) de chemins de traverses. Un certain nombre d'auteurs américains possèdent une propension certaine à l'exploiter.
Parmi eux, Jarmush est un génie, probablement poète aussi, passé derrière une caméra pour gagner sa vie, comme Jean Dubuffet météorologiste ou Paterson chauffeur de bus, et moi-même enseignant à la manque, et Jarmush nous raconte une histoire issue de l'intérieur, avec ses détails absurdes qui la pimentent et la profondeur des dimensions qui la décrivent.
Or, certains êtres sont corporellement dans ce monde et spirituellement dans son parallèle, en retrait de quelques encablures, en prise avec une dimension que d'autres ignorent. Afin de nourrir leur corps, ces êtres essaient d'aider leur prochain tout en survivant, parce que la vie, parce que le monde auquel ils appartiennent est bâti de sons et de concepts que la brutalité de la réalité recouvre. Ils se servent des bribes offertes par cette dernière afin de la reconstituer façon puzzle — un peu comme la belle fiancée campée par Golshifteh, reboutant son univers en noir et blanc, poinçonnant ses rideaux sombres comme on peint un clair obscur, et peignant sur elle-même à la fin, les non-couleurs qui morcellent en vrai son âme — et Dieu sait si le puzzle est le symbole ultime illustrant ce chef-d'œuvre. Un maître en l'occurrence, a l'œil afin d'en saisir un ensemble de pièces assemblées en mosaïque, un peu comme un montage assemble les images, et Jarmush en fait des collages à la Prévert.
Un climax en Cinéma, c'est lorsque la magie parvient à opérer jusqu'aux dernières secondes, et la magie ne quitte pas un seul instant ce film admirable.

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